Un soir à Bora, en attendant sur le ponton de la base de l’Hôtel, le bateau-navette qui nous ramènerait à notre bungalow, on commence à discuter avec un couple, américain apparemment, lui le total yankee, à coup sûr ex-combattant de la tempête du désert, elle sino-américaine, silencieuse. La nuit est calme, constellée d’étoiles, la Voie Lactée doit être au lait entier, elle en est presque fluorescente, si présente qu’elle en deviendrait oppressante. On est tous un peu en rage, on vient juste de manquer la navette précédente de 3 minutes, minutes perdues à palabrer avec le chauffeur qui nous raccompagnait du restau où nous avions dîné. Tout est silencieux, parfois, on entend des clapotis et de lourds plongeons. Le ricain marmonne quelque chose entre ses dents, moi je suis allongé sur le dos les bras en croix, le regard fixé sur un coin de l’espace espérant repérer une comète, histoire de faire un voeu. Je lui fait répéter, il m’annonce que les ploufs doivent venir de mulets. Effectivement, des mulets, j’ai déjà entendu les Polynésiens parler de mulets, mais je fais un piètre interlocuteur pour entamer une conversation piscicole! Puis il poursuit en déclarant qu’il adore la pêche, les ricains sont comme çà ils démarrent au quart de tour, 1ère phrase, "je m'appelle Bob", seconde phrase "where do you come from?"et ensuite il vous fait un résumé circonstancié de sa vie en 5 minutes, 3 chapitres et 15.000 caractères.
Celui là ne se contente pas de sortir ses 3 phrases, il continue son histoire, il pêche à la mouche, classique, comme dans "et au delà coule une rivière », Redford et tout, mais lui ne fait pas frire les produits de sa pêche dominicale, les grosses prises il se les fait empailler, pour faire des trophées au dessus de la cheminée ! C’est un ancien militaire, j'avais vu juste!! il a fait Desert Storm… et ses trophées de pêche, pour qu’ils aient l’air tout juste sorti du frais torrent de montagne, il fait des photos (en mode macro) qu’il donnera au taxidermiste afin que celui ci restitue la fraîcheur du regard de la bête et le brillant de sa robe. Parce que vous comprenez, une fois sorti de l’eau le poisson perd sa brillance et son éclat. Il faut donc raviver les couleurs, je lui aurais bien suggéré d’utiliser le nouvel OMO (cf un fameux sketch de Coluche), mais Omo ils connaissent pas . Alors je me tus. Et c’est vrai, ici à Tahiti la Daurade Coryphène, ou "Mahi Mahi" (sur tous les menus locaux, avec sauce vanille, s'il vous plait), dès sa sortie de l’eau, elle est d’un magnifique bleu outremer constellé de spots turquoise et lapis lazuli, puis elle devient jaune avant d’avoir d'avoir atterri sur le pont du potimarara et reçu le coup d’estocade final. C’est comme çà la nature. Pendant ce temps, les mulets continueront encore longtemps de sauter au clair de lune, inconscients du danger qui les guettait ce soir là au dessus du ponton. Mais heureusement notre yankee est en voyage de noce, et je doute qu’il ait trouvé un taxidermiste à moins de 6000 kilomètres à la ronde ! Alors il se contenta ce soir là de bécoter sa vahine dans le noir, jusqu’à ce que finalement la navette arrive enfin et que nous puissions regagner notre bungalow overwater sur le motu!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire